Colombie(s)

Novembre 2024
5 semaines
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D’un pays à l'autre, deux mondes si proches et si lointains. Ce qu’une frontière contient de distance. Insignifiance ou pleine de sens.

Ici la Police n’est pas là pour traquer les innocents, ici la police a l'air presque sympa. Ouf, on respire. Les Colombiens ont d’autres chats à fouetter, d’autres problèmes à éviter avec leur souplesse et la grâce qui leur est propre. Au jour le jour, on avance. L' homme qui conduit notre tout premier taxi colombien pour nous mener à la première ville au-delà de la frontière, nous le dit, lui aussi rêve de partir. Pas pour lui non, pour son fils, parce qu’ici “tu peux prendre un balle pour un oui, pour un non”.

L' insécurité on ne la ressentira pas, sans doute parce qu’on évite les zones d’ombres un peu malgré nous, un peu fait exprès.

Dans les rues de Cúcuta 

La Colombie, encore un pays Kaléidoscope, en forme de labyrinthe.

On est séduite de suite et l’on voudrait tout voir, tout savoir. De la jungle aux rives du Pacifique, des Caraïbes aux vallées du Caucas, ses montagnes si belles, sa mer et tout ce qui l'a peuple. Mais on comprendra vite qu’il nous faudrait plus d’une vie pour faire le tour, et pour l’heure on ressent avant tout le besoin de recharger nos batteries. Voilà un an que l'on sillonne les routes. Et, le chemin, le travail en tant que volontaire souvent intense, les températures excessives au quotidien, notre adaptation constante aux conditions de vie, d’alimentation, de transport, de communication et de culture, l’absorption incessante d’informations et dernièrement la gestion de situations relativement stressantes, tout celà nous a mis en “batteries faibles” et le besoin de les recharger se fait sentir. On accueille la Colombie comme de l’eau fraîche, et c'est vers la côte que l’on se précipite pour plonger dans les eaux bleues de Taganga.

Entre les murs de Taganga 

Taganga est un petit village joyaux de bord de mer, aux traditions de pêcheurs qui cherche l' équilibre entre hier et demain, entre se faire manger par l’appétit des touristes (locaux ou internationaux) et rester bien ancré sur sa barque, les filets de pêches comme un voile de résistance à l’appétit d’ogresse de la Modernité.


La mer. Un monde sans dessus, qui vit dessous sans sous. Flou mais pas fou, on y voit doux, et l’on s’y sent tout. Le secret de la mer c'est peut-être que c'est elle le secret, c'est d’elle que l’on est sorti et l’on croit vivre sans elle. Il faut être ivre pour y croire.

Bleue de bleue 

Le soir en bord de mer les mères apprennent à leurs fils à préparer les poissons, les journées passent à les attendre dans les criques, les poissons, et à tirer tous ensemble les filets hors de l’eau quand le veilleur en tuba gueule l’arrivée d’un banc… les corps salés, imprégnés de la Mer qui les berce, nuit et jour depuis le tout premier.

Dans les rues, quelques touristes venus chercher beauté, les chiens malades et les chats Pachas repus de poissons frais sans frais, et les vendeurs d’amulettes qui comptent leurs rêves sur le bout de leurs doigts.

Couleurs pêcheurs 

Nous, on en profite pour aller voir ce qui se cache au fond de l'eau, et l'on enfile, masques et bouteilles d'oxygène sur le dos pour oublier un peu ce qu'il se passe en haut.

En apesanteur 
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Ensevelies au creux de montagnes elles mêmes recouvertes de miliers d’arbres.

À 3 heures de marche d’Angelopolis.

Voilà où nous sommes en ce 17 novembre.

Embarquer pour un huit clos.

Le vert domine, surplombe, enrobe nos petits êtres en quête de simplicité. Mais fuir les trottoirs et les passants, les écrans, le bruit et le gris, tout ça a un prix. Pour un brin de courage, une cafetière de patience, un grain d’entrain, il est possible de rencontrer des hermites qui ont eux déjà tout abandonner. Au beau milieu de la forêt, là où la terre est mère, on se retrouve chez Sebastian. Le poste radio, le cri des chiens et le chant des oiseaux sont ses seuls amis. De toute façon il n’en veux pas plus, ni moins puis, qu'on se le dise, moins serait "plus rien". Alors ici l’on ramasse du café que l’on moue par la suite, on nettoie les environs de sa cabane à coups de machette puis l’on plante des choses qui pourraient bien lui permettre de ne plus jamais retourner à la ville. En clair, des oignons, des avocats, du maïs et du cannabis. Le temps s’est arrêté même s’il nous rattrape aussi vite qu’un courant d’air. Chaque chose prend milles ans quand bien même nous sommes formatées à tout faire en accélèré. Qui dit café, thé, soupe, arepas ou riz bouillie dit Temps. Feu de bois, bois mouillé, c’est comme cela qu’il faut faire, apprendre. Il n’est pas simple de s’immisser dans le quotidien de quelqu'un qui vit sans rien et loin des humains. Mais lui et nous étions d’accord pour nous rencontrer alors faisons de cette rencontre une intéressante question !

Bouquets de papillons et autres petites bêtes.

La cabane de Sebastian n’est autre qu’un amas de parpins assemblés en haut d’une montagne de laquelle il n’est possible d’accéder qu’en descendant une ou deux autres montagnes. Sinon il y a la marche, 3 heures environ sur 8.5 km de pierres, de montées et de descente ou bien encore la mule. Sa cabane est sans fenêtre, avec nid d’abeille à l’intérieur de la chambre, terrasse déglinguée et tout l’armitraille de choses qui font d’une cabane un lieu de vie pour le moins spartiate.

Les journées passent et se ressemblent au bout du monde. Soleil les matins et pluie les après-midi. C’est bel et bien à l’Homme à s’adapter. S’afférer au jardin, à la défriche, aux plantations, à la récolte de café, au moulage, au ramassage de bois puis au nettoyage des cuves d’eau tant qu’il est encore temps. S’alimenter est également une question primordiale dans un quotidien comme celui-ci ; la cuisson au feu de bois requiert patience et patience. Pas de montre, juste du temps. Les après-midi on les passera la plupart du temps au lit puis sur la terrasse à discuter, à bouquiner ou bien fabriquer des colliers en attendant l’heure de préparer le dîner ! Les soirées se ressemblent aussi comme les discussions qui viennent de notre monde. Il s’agit en l’occurrence de rêver d’un autre monde. Essayer de comprendre celui-ci sans atteindre les idéologies contemporaines. Éviter les braises, faire converger les avis, souffler les malheurs et raviver les cœurs. De l’Allemagne à la France en passant par l’Italie ou bien encore la Colombie, tout se dit, un peu se perd et beaucoupse transforme. L’échange. Les "changes" d’avis, d’opinion ou d’idéologie. Se raconter la peste, se livrer les secrets connus de tous sans s’avouer les peurs de chacun. Parce que "qui dit peur" dit pudeur...

 La mule, une option pour rejoindre la civilisation. 

... d’ailleurs, c’est étrange de se retrouver si proche la nature et de se sentir oppressé(s). C’est ce qui nous est arrivé à tous les 4 (Asia l’italienne, Yann l’allemand et nous même). Serait-ce la peur d’avouer sa pauvreté, celle de l’assumer ou bien un simple manque de clarté qui fera que nous quitterons la cabane de Sebastian avant l’heure ? Sans doute un mélange de tout. Au total une semaine où l’on a oublié le temps, le temps de comprendre qu’il serait mieux pour nous de repartir au vent.

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Jardín

Ce gros village porte bien son nom. Situé au beau milieu des montagnes aussi vertes qu’une carte vitale, cette petite ville n’est pas encore avalée par le tourisme. Le trajet pour y arriver est magnifique. Bien que la route en bus soit un exercice épuisant, la majesté du paysage excuse le mal de tête en remettant le pied à terre !

Boutures de peintures. 

C’est ici que nous allons nous reposer pendant 3 jours dans une auberge qui n'est autre qu’une ancienne maison typique. Le charme du lieu s’empare de nous immédiatement tout comme celui du village. Les fleurs ne sont pas ce qui manque dans ce jardin à ciel ouvert. Les rues pavées cadrille le cœur de Jardín. Les anciens (les vrais de vrais) se déplacent à cheval avec une élégance extrême. Les clapotis des sabots résonnent dans les rues même s’ils saignent nos coeurs à imaginer le labeur au derrière de ces pratiques (...)

La place principale est entourée de bars tous plus mignons les uns que les autres. Jeunes comme vieux discutent autour d’un café dans une position assez étrange pouvons-nous dire : la mode ici est d’incliner les chaises en bois des bars contre les murs histoire de siroter le café en équilibre "décontracté"! Après avoir essayé cette technique nous la validerons !

 Brives de nuances sous la menace.

Sinon Jardín ce sont des champs de cafés, des bambouserais et des bananiers. Les nuances de couleurs sont telles qu’à chaque virage d’œil, le tableau semble nouveau. Vert peut-être, mais toute la palette. Ici il pleut tous les après-midi alors on s’adapte. L’eau n'est pas ce qui manque et ceci explique cela... Nous faisons une chouette balade où les nuages étaient notre seule menace.

 Il n’y a pas que les colibris en Colombie !

De cette escale reposante et agréable l’on retiendra la gentillesse des habitants, la beauté de l’église, la tranquilité de l’endroit, les cochons dans les rues et la pizza au fromage/chocolat !

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Tout est dans le titre. Tierrita Linda : Petite Terre Jolie, Jolie petite Terre.

C’est là que l’on est arrivées en dernier, que l’on a atterri pour mieux décoller. Un point final en Colombie, un point final sur toute l’Amérique du Sud que l’on a parcouru du Sud au Nord et d’Est en Ouest. Et quel point final, pas banal. C'est sans conteste que l’on n’aurait pas pu rêver mieux, mais pourtant en venant ici on a appris à rêver mieux.

Dans les rues de Popayán

Les pieds sur terre et les mains dedans, la tête vers les cieux, c’est ainsi que l’on vit ici. Arnold un grand garçon au rire d’enfant a fait pousser des maisons qui lui ressemblent et Anna qui roulait sa bosse depuis des contrées lointaines est venue mettre son grain de sel pour y semer des étincelles. Les volontaires viennent apporter leur pierre ou bien leur terre, à eux de voir.

Après tout pour que les murs soient solides il nous faut bien l’argile ( Arnold), le sable (Anna), et une quelconque fibre (les volontaires).

Sur le toit avec Timo, Yolaine,  Anna, Arnold, Marina, Lev y Juhré

La bonne humeur règne sur place. Le roulement des tâches ménagères facilite la chose. Quelques heures de travail le matin puis c’est la pluie au loin qui nous alerte chaque jour alors que nous sommes sur le toit et qui, quelques minutes plus tard nous stoppera. Même chanson puisqu’ici aussi c’est la saison des pluies: matins ensoleillés et après-midi pluvieux. Quartier libre, il y a suffisamment d’endroits pour trouver sa place. Il y a le dôme où loge Ana et Arnold, la tortue où peuvent dormir deux ou trois volontaires, la maisonnette où sont la mère et le frère d’Arnold puis la casita linda en construction sans compter l’espace partagé qu’est la cuisine / "salon".


Vis ma vie à Tierrita Linda

Ici l’on aura appris à écouter l’autre, tenter l’intentable et adapter tout puisqu’un rien finalement devient un tout. Construire un mur avec de la merde de vache, fabriquer un toit avec du carton recyclé et des punaises, en somme, faire avec ce que l’on a sous la main, avec la terre sous nos pieds et la foi en "ça fonctionnera".

Parfois on s'improvise bucherons du dimanche 

A Tierrita Linda, les possibles n’ont de limites que l’imaginaire de ses habitant.e.s, permanents ou temporaires.

Tous les avis sont bon à prendre et Arnold navigue à vue sans trop fixer de cap, à moins qu’Anna ne vienne lui rappeler sa destination.

Le projet est un laboratoire, sans perfection, avec une liberté de création. H(ART)bitation pour s’h(ART)briter. Sans diplôme d’architecte, c’est la plupart du temps avec des maquettes qu’ils projettent leurs idées pour les tester avant de s’y jeter.

Ils ne savaient pas que c’était impossible alors ils l’ont fait. Et pour ça on leur dit juste MERCI.

 Sur le départ, à la gare de Popayán. Comme nous non plus on ne sait pas que c'est impossible, alors on va le faire.